Pesant, son pas. Pesante sa façon de s'asseoir sur la balancelle. D'ailleurs la balancelle ne s'ébranle pas. Statique, la balancelle. Pesant, soudain, le silence. La fontaine a-t-elle entendu cette "pesance lourde" ? Peu à peu son chuchotis s'éteint. Pesante, l'ambiance.
Moi Loizo, sur une feuille de mon palmier, je me tais. Je sais qu'il peut n'y avoir nul besoin de répondre au silence. Mais là, je vais le rompre. Une perle de cristal coule sur la joue droite de mon amie Lodile. J'ose un "Bonjour Lodile comm'..." Elle m'interrompt aussitôt.
"Mal Loizo ! Mon amie Mariessoleil a demandé une entrée en hôpital "Si" pour se protéger, pour s'empêcher d'agir, cela fait trois mois que l'idée lui tourne en tête" m'a-t-elle dit. Te rends-tu compte Loizo, Mariessoleil, toujours sourire aux lèvres, toujours couleurs en corps, toujours des "bonjour" d'un trottoir à l'autre, d'un bout de bus à l'autre, et sa voix rauque, éraillée qui faisait, non, qui fait répondre tout un chacun. Oui, Mariessoleil, Loizo !
Hier, je suis allée la voir. Pas simple d'arriver jusqu'à elle "Mais si c'est facile, je te donne un repère, une grosse boule, pour ne pas la perdre sûrement, ils ont de l'humour dans cet hôpital !" Je deviner qu'elle se marre. Elle a encore de l'humour. Rien n'est perdu. "Ok tu ne l'as pas perdue la boule toi" Et elle continue de me driver "A Quatre John tourne à gauche". J'ai suivi John un temps, j'ai imaginé qu'il était bel homme. Soudain je ne l'ai plus vu. "Quand tu ne sais pas quoi jouer, joue de l'atout... autant dire quand tu ne sais pas où tu vas, vas tout droit", dit-on, j'ai poursuivi tout droit et je suis tombée sur François Rabelais. A sa seule lecture, j'entends des bêlements partout mais les pelouses sont nues ; je soupçonne des fouaces en veux-tu en voilà qui glissent au-sessus de ma tête et des noms bizarres s'arcboutent d'un neurone à l'autre : Gargantua,
Gargamelle, le pays de Grangousier, Frogier le berger je te laisse cher Loizo et toi cher lecteur ou lectrice retrouver Frère Jean des Entommeurs, le château écrasé par une queue de cheval, je crois, et surtout Gymnaste l'écuyer qui se fait passer pour fou. Je ne pouvais pas ne pas l'évoquer celui-là, en traitant mon sujet.
https://www.youtube.com/watch?v=pGbh2q1lohE
Mais bref, LOizo, bien que ces rencontres et ces combats me ravissent tu comprends combien plutôt émue d'être dans ces lieux, je me sens perdue. J'appelle Mariessoleil. La voix douce d'une infirmière me remet sur les rails. Je remonte le chemin un tiers à l'envers et d'un coucou, je reconnais sa voix et son bras qui s'agite. J'étais contente mais j'ai la peur m'a envahie. Elle me saluait d'une terrasse grillagée. Un temps j'ai cru plonger dans un film.
L'univers est sous clef. Que fait-elle là notre Mariessoleil ?
Avec ma veine me voilà prise à partie par un jeune homme en pyjama qui me demande d'avoir la gentillesse d'aller à la gendarmerie pour dire qu'il ne doit pas être ici. Je m'étonne. Il est très proche de moi et aucun des quatre membres du personnel n'agit. Je fais confiance à leur immobilisme professionnel. Je hoche la tête dans une banale connivence. Cela semble lui suffire. Je pénètre dans la chambre de Mariessoleil et là je manque m'étouffer. Je déteste les salles rectangulaires. Elle est rectangulaire. Son lit une place à gauche fait face à un mur d'une neutralité déconcertante. Un autre lit, celui de sa coloc fait face au même mur mais jouit d'une fenêtre avec vue sur le parc. Entre chacun des lits un grand espace et deux armoires d'un marron glauque, années 1950 achetées sûrement chez Emmaus. Que fait-elle là notre Mariessoleil ? Sa voisine est absente. Nous échangeons un regard. J'écarquille les yeux "Que fais-tu là ? Pourquoi pas X ou Y " je cite deux autres établissements. "Allez viens" me dit-elle, "j'ai le droit de sortir". Nous nous retrouvons dans le parc.
Comme l'une de mes soeurs, Mariessoleil me confie remarquer grâce à moi, des choses auprès desquelles elle passe sans les voir. C'est vrai que de mon côté, même un ver de terre frétillant (ou pas) attirerait mon regard et me ferait rire. Et là, vois-tu Loizo, ma propre fille, ma Dyane, sait me dire que cette façon de voir une autre réalité est insupportable. J'accepte qu'elle me dise cela. Ce qui est, dans l'instant, c'est que Mariessoleil prend plaisir à découvrir
un délicieux pavillon, qu'on pourrait croire minuscule, extrait d'un livre anglais pour bébé ou d'un film pour enfant, pourquoi pas de Hans et Gretel, tout comme l'arbre, saule pleureur dénudé qui jouxte le pavillon ;
et "la marche de l'Homme", une sculpture gris ardoise, haute, étroite à plate, rectangulaire et largement fendue en son milieu, souvenir d'une certaine "Tombées de la Nuit", festival bien connu ici.
Elle parle ma Lodile, elle ne s'arrête plus. J'écoute. Et je pense à vous. Envie de boire ? Envie de goûter.... les boissons sont comme toujours au frais du bassin, et le plateau thé à la menthe et pâtisseries orientales, sous les grandes feuilles de bardane. Servez-vous, YA+KA... bientôt.
"Tu sais Loizo", Je tends l'oreille, la balancelle se remet en marche, "j'ai bien vu que Mariessoleil avait changé, j'ai bien vu que les étoiles n'habitaient plus son regard. Mais c'est passager. Il lui faut une lampe de luminothérapie. Il doit bien y en avoir dans cet hôpital. Je lui ai dit "si tu ne demandes rien, on ne te donnera rien, tu as perdu le désir, alors je te donne un ordre demande quelques séances de luminothérapie, demande Mariessoleil" Elle m'a souri. Et comme nous étions dans un rayon de soleil auprès duquel elle passait sans s'arrêter, j'ai appuyé sur son bras et je lui ai dit "ferme les yeux, sens-tu la chaleur des rayons sur ton front ? Laisse-la pénétrer dans ton corps"
Rien n'est perdu Loizo. Mariessol a joué le jeu. Je reviendrai.