Comment dire ? Disons-le, c'était aux Champs Libres, pour le dernier rendez-vous de l'année des mercredis aux Champs Libres.
Tristan le Govic à la harpe et Lise Enochsson à la voix ont offert un délicieux intermède musical.
Il joue de la harpe comme un dieu, habité, comme tous ceux qui en plus du talent possède l'âme du talent. A me rappeler cette histoire norvégienne lue dans Dina.
Il était une fois un homme qui apprenait à jouer du violon. Un jour il quitta le salon où il se livrait à sa passion pour se rendre en bord de mer. Là il lissait et relissait la même note jusqu'à satisfaction à laquelle il ne parvenait jamais.
Un jour alors qu'il essayait une nouvelle fois, entre deux vagues, émergea un spectre. Le violoniste d'abord surprit écouta le spectre puisqu'il se mit à parler. Il déclara qu'il pouvait l'aider à apprendre à jouer du violon. L'élève-violoniste accepta. Le spectre ajouta que ses leçons étaient liées à une condition. L'élève- violoniste demanda laquelle. Il apprit ainsi qu'à chaque leçon donnée, il devrait nourrir de viande le spectre. L'élève violoniste acquiesca.
Dès le lendemain il apparut sur la plage, violon en main et viande dans l'autre. Le spectre s'en régala dès la fin de la leçon. Qui conforta l'élève immédiatement : il avait bien progressé; Et il continua dès le jour suivant, dès les autres jours qui suivirent. Cependant un jour l'élève violoniste oublia la viande. Le spectre l'excusa "pour cette fois". Cependant, le spectre ne dit aucun mot le lendemain lorsqu'il ne reçut aucun morceau de viande. Ni le jour suivant. Cependant il se fâcha quelques jours plus tard devant les oublis répétés de son élève. Et il déclara "Désormais, tu sauras jouer du violon ; cependant tu ne sauras qu'en tirer les notes. En aucun cas tu ne sauras tirer des notes l'âme de la musique" Et il disparut dans les vagues pour ne plus réapparaître.
Ce matin aux Champs Libres, en regardant les mains de Tristan Le Govic, j'ai pensé que Tristan avait rencontré le spectre. Et qu'il lui avait obéit. Rarement j'ai vu effectuer d'aussi beaux mouvements. Et cela, l'air de rien. A ses côtés, Lise Enochsson a sûrement rencontré le spectre : l'air de rien sa voix délicieuse monte et s'élève comme si, pour elle aussi, de rien n'était. Aucun geste inutile.
Parfois, et en alternance, ces deux-là commentent leurs textes, avec humour, l'un se moquant de son grand-père parti pour le sud... le plus proche ; l'autre se moquant des femmes norvégiennes, sujets de certaines chansons présentées. Nous apprenons aussi qu'au contraire des chants bretons, dont un seul en répond pourrait tenir toute une nuit, certains chants suédois ont la longueur d'un haïku. Nous apprenons qu'en Ukraine on parle encore suédois. Le lien se fait avec le cycle Babel sans peine, porte ouverte aux langues. Tous deux évoquent un texte gaélic chanté en norvège et traduit en suédois. C'est émouvant et ça fait penser à l'exposition Migrations dont ma fille m'a parlé avec beaucoup d'émotion. C'est à voir, m'a-t-elle dit.
Dernier cadeau pour cet instant partagé avec un public nombreux : la mise en lumière. Des mouvements vert, bleu, rouge, orangé et le dernier, or, centré sur la harpe noire : posée sur un socle noir, elle ressemble soudain à un remarquable bijou.